Si je me fie à mes algorithmes, 2023 a été une année où la culture des filles a dominé. La tournée-record de Taylor Swift, le succès-record du film Barbie, les différents trends comme girl dinner, girl math, girl rot, clean girl aesthetic, lazy girl job, tomato girl, etc. et pour couronner l’année, la tendance esthétique des boucles qui a explosé en décembre dernier.
Ça a fait couler beaucoup d’encre numérique. J’ai lu plusieurs essais sur le sujet parce que ça m’intéresse, mais aussi parce que ça a quand même résonné émotionnellement chez moi.
En tant que femme de 43 ans, pourquoi est-ce que le discours sur la girlitude1 m’interpelle autant?
Woman: interrupted
La pandémie et coïncidemment mon arrivée dans la quarantaine ont été pour moi un énorme reset forcé. Dans l’isolement le plus complet, j’ai pu faire de multiples bilans et développer un regard plus holistique et plus bienveillant sur mon parcours de vie.
J’ai beaucoup réfléchi à mon enfance. Jusque là, je la voyais comme une période sombre marquée par de multiples traumatismes. Mais à ma grande surprise, j’ai réussi à y dénicher des moments et des souvenirs positifs, ce qui m’a permis de me réapproprier mon enfance et de pouvoir regarder cette période trouble avec beaucoup de tendresse.
Une expérience universelle
Quand le film Barbie est sorti, ce qui a retenu mon attention n’était pas tant le film comme tel, mais son effet chez les GenZ. Certes, le film n’est pas sans fautes, mais Greta Gerwig a quand même réussi à illustrer avec beaucoup de justesse le caractère brutal (et parfois violent) de la perte de notre innocence qui marque la fin de notre enfance. J’ai eu l’impression que les filles et les femmes ont réalisé en même temps l’universalité de cette expérience et ça nous a fait bonder ensemble.
Par la suite, le caractère relatable des concepts comme girl dinner et girl math a renforcé ce lien fraîchement créé. Finalement, la tendance des boucles fut le point culminant, la célébration suprême de la girlitude.
Fuck you :) 💅🏻
Mon hypothèse est qu’on a assisté à une revalorisation, une redéfinition et à une réappropriation de la girlitude.
Revalorisation, parce qu’on sait à quel point le patriarcat méprise la girlitude. Se déguiser en Taylor Swift et pleurer en la voyant sur scène c’est stupide, mais porter un chandail de hockey pour aller voir un match et casser des vitrines de magasins parce que son équipe a perdu, ça c’est beaucoup plus valide. Go figure.
Redéfinition, parce que les girl dinner, girl math ou girl rot révèlent un pan intime de la girlitude qui est en totale opposition avec les attentes sociétales qu’on a envers nous. Les filles n’aiment pas tout le temps cuisiner et parfois elles mangent tout croche. Les filles aiment parfois (ou souvent) macérer des jours dans leurs pyjamas, dans leur bordel et refuser toute stimulation cognitive.
Réappropriation, parce que je détecte une nargue consciente envers le patriarcat, en particulier à travers le concept de girl math. On joue avec le cliché selon lequel les filles sont poches en math pour parler de décisions financières à la logique particulière, mais pas nécessairement stupides. J’y vois un rejet très frondeur de la honte imposée par ce cliché. C’est un peu se bimbo-ifier pour prendre les hommes à leur propre jeu en leur mettant en pleine face la contradiction patriarcale selon laquelle les femmes (et les filles) seraient à la fois des êtres faibles et de redoutables et dangereuses manipulatrices.
Ceci dit, je suis également d’accord que cet attrait pour la girlitude peut aussi s’expliquer par le fait que la réalité des femmes ces temps-ci n’est pas très fun. Les reculs majeurs dans les droits des femmes, l’économie qui fesse particulièrement pour les femmes, les multiples et violents backlash qu’a accusé le féminisme: adulting is hard et ça l’est encore plus quand on est une femme adulte. Esti, partez-moi pas sur ma croisade pour trouver un suivi médical adéquat pour ma périménopause.
Et ça fait que la girlitude, ça se vend beaucoup mieux que la féminitude par les temps qui courent. Parce que oui, le capitalisme est de plus en plus doué pour marchandiser (et dévaluer) les luttes sociales et ce mouvement ayant pris pas mal d’importance dans la culture populaire, c’est certain qu’il y a des pièges capitalistes à éviter.
Par contre, et je finirai avec cette étincelle d’espoir, je pense que si mon hypothèse s’avère juste et qu’on continue de garder un esprit critique, cette revalorisation-redéfinition-réappropriation de notre girlitude a un potentiel transformateur.
C’est du moins ce que la femme de 43 ans que je suis y a découvert. Ça m’a aidée à me réconcilier avec mon enfance, ça a dissout une esti de grosse couche de honte et ça a renforcé encore plus mon sentiment de solidarité féminine. C’est pas une régression, c’est juste moi qui boucle les boucles de mon enfance.
J’utilise girlitude pour parler de l’état d’être fille et aussi comme une traduction de secours du terme girlhood.
Excellent article! Ayant 66 ans, j’ai eu la chance de vivre pleinement une vie de fille et de jeune adolescente dans un univers dans lequel gars et filles pouvions rêver d’un monde plus égalitaire où tout était possible. La chute fût brutale sans trop savoir qui nous poussa dans le vide ( la mondialisation des marchés et avec elle la surconsommation, l’affaiblissement de l’instruction publique, bref, je n’en sais rien). Merci!