Aujourd’hui j’ai décidé de faire une petite exception sur la formule parce que d’une part, c’est mon magazine et je fais ce que je veux et de l’autre, je tenais à vous parler d’une initiative que je trouve super importante.
Tout d’abord, checkez-moi ces p’tits bras tout nus pas tatoués. Me voilà quelque part en 2007 ou 2008, dans un bar ou une salle de spectacle (mes souvenirs sont flous mais il se pourrait que ce soit un show de Justice lol) de Montréal, en train d’essayer d’avoir l’air cool devant l’objectif de Laura aka The Friend Attack, notre Cobrasnake de l’époque.
Ici on est à peu près à la même époque et je suis sur la scène du défunt Zoobizarre, probablement en train de chanter à propos des cunnilingus.
Pendant une bonne partie de ma vingtaine, j’ai évolué dans la vie nocturne montréalaise. Ç’a été une période extrêmement fructueuse côté social. J’y ai rencontré des centaines de personnes (dont beaucoup sont encore des ami.e.s), participé à des dizaines de projets créatifs, organisé je sais plus combien de shows, assisté à je sais plus combien de shows et de soirées de DJs. Bref, ce fut une époque bouillonnante créativement. Tout le monde avait des projets, tout le monde collaborait ensemble, on essayait des choses juste pour le fun d’essayer, sans avoir peur de se péter la face ou d’avoir l’air fou.
En rétrospective, je constate aussi que ces rencontres et ces projets ont beaucoup contribué à mon développement tant personnel que professionnel. Même si aujourd’hui je n’ai plus vraiment l’énergie ni l’intérêt de poursuivre ce mode de vie, je sais que je serais bien différente si je n’avais pas évolué dans ce microcosme.
C’est pourquoi je trouve ça vraiment cave qu’on n’ait pas encore compris le rôle majeur que jouent la culture et l’économie nocturne dans une société.
Le milieu nocturne, le milieu underground, c’est pas seulement un milieu de party. C’est une pépinière de talents et d’idées. La majorité des produits culturels mainstreams qu’on consomme sont nés là. C’est donc important que ce milieu soit reconnu, protégé, structuré, légalisé, soutenu et encouragé.
MTL 24/24
Je suis depuis un certain temps déjà les activités de l’OBNL MTL 24/24, fondé en 2017 et dont la mission est de contribuer au développement économique et culturel de la vie nocturne à Montréal, à travers différents projets et initiatives.
Avec la fermeture de nombreuses salles de spectacles, de bars, de restaurants (RIP le MAIN), l’embourgeoisement des quartiers abritant artistes et créatifs et les impacts de la pandémie, cette initiative a vraiment résonné chez moi et je tenais à consacrer ce numéro à vous faire découvrir l’organisme et ses activités.
Le Sommet
Les 17 et 18 mai prochains se tiendra au Centre Phi l’événement Montréal au Sommet de la nuit. C’est deux jours de conférences, de tables rondes, de rencontres et de discussions sur les meilleures façons de créer une vie nocturne foisonnante à Montréal.
La programmation est super riche et il y a beaucoup d’activités gratuites de prévues.
J’ai pu rencontrer brièvement le directeur général et co-fondateur (et ancien camarade nocturne), Mathieu Grondin pour lui poser quelques questions sur l’événement mais aussi sur les défis auxquels la nuit montréalaise devra faire face dans les années à venir.
Entre le Sommet de l'an dernier et celui de cette année, qu'est-ce que t'as observé d'intéressant dans le paysage nocturne montréalais?
L’année passée on a parti des projets-pilotes de prolongation des heures de vente d’alcool, qui se sont répétés à l’automne, puis durant l’hiver avec d’autres organismes et ensuite via des sociétés de développement commercial durant la Nuit Blanche. Il devrait y avoir d’autres projets-pilotes cet été, en tout cas je l’espère.
Ça c’est quand même majeur parce qu’on a fait la démonstration que c’était à coût nul en termes d’impact sur les relations avec les résidents, sur la sécurité publique, sur les services d’urgence. Donc tout le monde qui était ben énervé au début comme quoi ça allait mettre la ville à feu et à sang se sont un peu calmé le poil des jambes et ont bien vu que c’était pas si pire que ça.
Donc ça c’est un gros changement et l’impact que ç’a eu sur le milieu nocturne local, c’est d’avoir enfin l’impression d’être un petit peu écouté et compris et ça lui apporte beaucoup d’espoir.
Peux-tu expliquer un peu le thème de cette année, Nox Spatium?
L’année dernière, on n’avait pas vraiment de thème officiel, mais c’était un peu une thématique «Temps» parce qu’on voulait prolonger les heures de vente d’alcool. Cette année le thème c’est l’espace au sens large: autant les espaces de diffusion, l’espace culturel que l’espace économique, l’espace sécuritaire, l’espace de gouvernance politique.
C'est quoi les principaux défis auxquels fait face la vie nocturne à Montréal?
On publie cette année Creative Footprint, notre grande étude qui analyse l’empreinte créative des lieux de diffusion de la culture nocturne à Montréal et ce qui ressort c’est qu’il y a beaucoup d’espaces, mais qu’on n’est pas capable d’y accéder.
Donc il faut faciliter l’accès aux lieux, les protéger parce qu’ils sont toujours à la merci en ce moment d’un résident qui déciderait de porter plainte, parce qu’on va faire primer son droit individuel sur nos droits collectifs culturels. Il faut aussi mettre en place des mesures pour développer de nouveaux espaces.
«En fait ça prend une série de mesures concrètes qui doivent être mises en place à l’intérieur d’une stratégie de développement de la vie nocturne, qui elle va s’appuyer sur une politique de la vie nocturne. Mais cette politique-là ça fait quand même 6 ans et demi qu’elle est annoncée et on l’attend toujours.»
Donc tu sens une ouverture du côté politique, mais pas vraiment d’actions concrètes?
Il y a une ouverture, il y a du travail qui est fait, mais ça va trop lentement. On est ben trop en retard. Si on se compare avec d’autres villes, on n’est pas là encore. La prolongation des heures, ça c’est allé vite. Ça m’a surpris parce que je pensais que ce serait l’affaire qui prendrait le plus de temps. Les Montréalais sont festifs!
Mais pour protéger la culture et comprendre ce cadre-là, ça nous prendrait un chien de garde à l’intérieur des instances politiques et à l’intérieur de l’administration municipale, qui comprend les enjeux et le terrain et qui va s’assurer que le travail avance assez vite et de la bonne manière. Et en ce moment on n’a pas ce genre de personne.
Le seul champion politique qu’on aurait vraiment c’est peut-être Mme Plante, mais il n’y a pas beaucoup d’élus que je connais qui sont des vieux ravers, tsé. Pis ça va nous prendre un vieux raver ou une vieille raveuse, soit dans l’administration municipale, soit en tant qu’élu.e.
À la lumière de tes voyages et rencontres, en quoi est-ce que la vie nocturne montréalaise se démarque aux yeux de vos pairs à l'international?
Dans l’étude Creative Footprint [les résultats seront dévoilés publiquement pendant le Sommet], ce qui est ressorti, c’est qu’on a scoré aussi haut sinon plus que Berlin en termes d’expérimentation, d’innovation.
C’est à dire que la perception que les usagers de la nuit et les parties prenantes de la nuit ont de leur propre culture nocturne, c’est qu’elle est à l’avant-garde, très dynamique et créative.
Là où on a scoré le plus bas, c’est sur les conditions-cadres qui régissent cette culture-là et on a le plus bas score par rapport aux quatre autres villes qui ont participé à l’étude.
Donc ça veut dire que notre culture nocturne est pas capable d’éclore. Mais elle est là. Elle pourrait exploser à l’international, comme Montréal a explosé à l’international dans les années 90 avec la musique électronique ou les années 70 avec le disco. Les talents sont là. Sauf qu’il faut leur donner des espaces pour qu’ils puissent opérer et se faire entendre.
Moi plus je voyage pour ce projet, plus je vais voir ailleurs, plus je me dis quand je reviens que c’est pas mal cool ce qui se fait ici. J’étais à New York il y a quelques semaines et je suis sorti dans des clubs et je me disais «Man, la crowd est plus le fun à Montréal.»
«On est encore dans un sweet spot où il n’y pas trop d’argent, donc ça rend pas la culture trop aseptisée et ça reste accessible (même si ça l’est de moins en moins), mais on est grunge en criss.»
Outre sortir et consommer les produits de la culture nocturne et suivre les activités de Montréal 24/24, qu'est-ce que les gens/citoyens peuvent poser comme actions concrètes pour soutenir eux aussi la vitalité de la vie et de la culture nocturne à Montréal?
C’est sûr que ma job à moi c’est de faire sortir le monde le plus souvent possible. La culture nocturne ça se consomme pas sur ton divan en regardant Netflix. Et je pense qu’après 3 ans de pandémie, il faut redonner aux gens le goût de sortir. Il y en a beaucoup qui l’ont perdu et qui sont rendus ailleurs dans leur vie et il y a une autre génération qui n’a pas vécu la nuit encore, qui n’a pas eu l’occasion de développer un intérêt pour la vie nocturne. C’est ça notre défi en ce moment: les embarquer et leur montrer comment faire.
«Mais je pense que la meilleure façon de soutenir la vie nocturne c’est de l’aimer et la tolérer.»
À quelle activité as-tu le plus hâte au Sommet la semaine prochaine?
Mercredi dans la journée on a trois présentations de projets vraiment cools. Ce sont des sortes de parcs d’attractions pour adultes de la vie nocturne. C’est des espaces multidisciplinaires intérieurs et extérieurs où il y a des galeries d’art, des restaurant, des cafés, etc.
Il y a Holzmarkt Berlin, il y a un projet de parc culturel qui sera réalisé à La Haye qui s’appelle Pip Inter-city. Pip c’est un club qui existe déjà, mais qui devra déménager à cause de la gentrification dans son quartier.
Le troisième projet vient de Malmö en Suède. Cette ville a créé une zone culturelle sonore, qui est en fait un espace industriel réaménagé en pôle d’attractivité culturel. Je trouve ça intéressant comment Malmö a réalisé cette initiative parce que ça s’est fait «bottom up» et ça c’est très intéressant pour nous, parce que c’est justement ce qui rend la vie nocturne dynamique et innovante: c’est quand ça part de la base et que ça percole et non l’inverse.
Pour assister à Montréal au Sommet de la nuit les 17 et 18 mai prochains au Centre Phi:
Pour acheter des billets (il y a des tarifs préférentiels disponibles)
Pour l’événement NON STOP
19 au 21 mai prochains
36 heures non-stop de culturne nocturne avec 18 artistes locaux et internationaux
Si vous souhaitez faire du bénévolat pour l’évènement
Notes de frigo
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