«I like generosity wherever I find it, whether in gardens or elsewhere.»
-Vita Sackville-West
En toute honnêteté, ça fait des semaines que je réfléchis à ce numéro. Non, c’est pas vrai. Ça fait des semaines que je réfléchis au jardin comme lieu de contemplation et de dissociation. Et je jongle avec l’exploration de ce sujet qui me fascine et l’anxiété de pouvoir vous en parler de façon articulée.
Pouvez-vous croire? Après un an d’existence et malgré votre intérêt constant, je me mets encore de la pression à essayer de produire des essais sérieux et soutenus alors que le but profond et avoué de ce magazine est justement d’oser soliloquer comme une poule sans tête dans vos inbox, au gré de mes brain farts. Faudrait que je *me* et *vous* fasse plus confiance.
Et de toute façon, l’évolution de ces intérêts est toujours pareille:
Je remarque quelque chose
Je cherche pour voir ce qu’on en dit sur internet, dans les livres, la musique, les films, la mode, les arts visuels, la culture populaire, etc.
*Interest intensifies*
J’essaie de comprendre pourquoi ça m’intéresse
Je trouve une ou plusieurs réponses ou pas du tout
L’intérêt s’atténue, mais reste en back burner jusqu’à un nouveau trigger
Faque.
Je réfléchis au jardin comme lieu de contemplation et de dissociation.
Lieu de contemplation, pour habiter le présent et m’émerveiller de la magie de la nature. Hasard, symétrie, mathématiques, harmonie visuelle, j’essaie d’imaginer tout ce qui se cache derrière l’existence de ces plantes, de ces fleurs. Le sens que je cherche, le pourquoi c’est fait comme ça, il est là devant mes yeux, mais dans un langage que je ne saisis pas. Je suis ignorante et béate devant une fleur et je veux vivre dans cette sensation pour toujours.
Je m’émerveille devant le travail humain, tant physique qu’intellectuel et émotionnel, nécessaire à l’existence de ce lieu. Le jardinage est souvent associé à la rédemption, la guérison ou encore la création. On jardine pour offrir de la beauté au monde, pour trouver un sens à une souffrance ou pour lâcher prise. Le jardin est le résultat des leçons apprises dans une vie. Je ne souhaite pas jardiner. Je n’ai pas la patience. Mais admirer des jardins? Pour toujours. J’approche les jardins comme des essais philosophiques, une toile dans un musée, une histoire racontée: que disent ces plantes? Que dit le jardinier ou la jardinière qui a assemblé ces plantes ainsi?
Le jardin est aussi mon lieu de dissociation, pour fuir le présent, pour me cacher au milieu des plantes et des fleurs. Pour voler du temps et le gaspiller à ne pas être productive. Pour laisser mes pensées, mes idées et mes émotions courir librement, sauter de feuille en pétale en cascades de parkour. C’est un passe-temps important parce qu’il est inutile à la logique de la vie qu’on souhaite que je mène. Quand je chill dans un jardin, je ne suis pas en train de plaire, je ne suis pas en train d’investir pour avoir accès à la propriété, je ne suis pas en train d’acheter des choses, je ne suis pas en train d’optimiser ma productivité, je ne suis pas en train de convaincre que je mérite d’exister, d’avoir un salaire, d’être logée, d’être soignée, d’être aimée, d’être heureuse, je ne suis pas en train de performer. Je ne suis juste pas.
En tout cas, je vais aux jardins comme on va à la plage à la recherche de cailloux cutes. Voici les belles roches que j’ai rapportées de mes promenades.
Le mât du Stade pour ne pas se perdre
Pro tip: si vous possédez une carte Accès Montréal, vous avez accès gratuitement aux jardins extérieurs du Jardin botanique de Montréal.
On peut pratiquement se perdre dans l’arboretum et c’est fait pour, puisqu’on peut trouver des bancs au milieu de petits prés cachés, parfaits pour fumer un batte et lire un livre tranquille.
Je consulte régulièrement le calendrier des floraisons pour aller admirer les fleurs.
Sinon, j’attends impatiemment mes vacances pour découvrir d’autres jardins à Montréal.
Le petit rectangle riche sur les Plaines
Depuis quelques années, je me paie de courts séjours à Québec uniquement pour aller chiller au Jardin Jeanne D’Arc. Chaque saison, le jardin prend des airs différents. C’est un lieu que j’ai visité souvent dans mon adolescence. J’y ai eu des rendez-vous romantiques où de jolis aveux furent exprimés. Je suis la personne la plus nostalgique et sentimentale du monde et ce jardin accueille et berce mes immenses émotions depuis mes 17 ans.
Les fleurs de mon jardin seront mes infirmières
J’ai déjà partagé La Jardinera de Violeta Parra dans un numéro précédent, mais depuis je me suis penchée sur la poésie des paroles, la douceur cinglante de l’histoire et je l’écoute en boucle.
Un extrait, traduit librement:
Pour t'oublier, je vais cultiver la terre
J'espère y trouver un remède pour ma peine
Ici je planterai le rosier, avec ses épaisses épines
Ma couronne sera prête pour quand, en moi, tu mourras
Pour ma tristesse, une violette bleue; un oeillet rouge pour ma passion
Et pour savoir si tu m'aimes, j’effeuille une camomille blanche
Que tu m'aimes beaucoup, un peu ou pas du tout, mon cœur reste calme
À partir de cette chanson, j’ai assemblé une liste d’écoute sur Spotify. Ce sont des chansons qui parlent de jardins, au propre comme au figuré, et de printemps, en français, en anglais, en espagnol, en portugais.
Jardins lointains
Youtube est une ressource infinie de visites de jardins. Celle-ci est juste exquise.
Précis de déambulations botaniques
Le magazine Bosquet, mené par des amies, est actuellement en dormance, mais si vous arrivez à mettre la main sur un des numéros, vous y trouverez une fantastique diversité d’explorations visuelles et littéraires sur les plantes. J’ai d’ailleurs publié un poème dans un des numéros, une grande fierté personnelle.
Vita Sackville-West
J’ai reçu de nombreuses recommandations de livres qui parlent de jardin et je les ai toutes notées précieusement. Je vais commencer par découvrir les écrits de Vita Sackville-West au sujet de son jardin, Sissinghurst, aujourd’hui considéré comme un des plus beaux jardins d’Angleterre.
Sackville-West est une écrivaine, poète et journaliste reconnue, et on a beaucoup parlé de sa relation avec Virginia Woolf. Mais elle était aussi une jardinière enthousiaste qui a longtemps tenu une chronique sur le sujet dans un journal anglais.
Voyez comment elle parle des pivoines:
«It always seemed to me that the herbaceous peony is the very epitome of June. Larger than any rose, it has something of the cabbage rose’s voluminous quality; and when it finally drops from the vase, it sheds its petticoats with a bump on the table, all in an intact heap, much as a rose will suddenly fall, making us look up from our book or conversation, to notice for one moment the death of what had still appeared to be a living beauty.»
J’aurais tant de choses à dire encore sur les jardins, je les réserve pour une suite?